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Si Trump revient, c’en est fini de la démocratie américaine

<img src="https://heidi-17455.kxcdn.com/photos/882fe6b8-8760-4cad-a9e8-c27a5ce54502/medium" /><p>Si Donald Trump revient à la Maison-Blanche, il ne faudra pas compter sur les gardes fous du premier mandat. Il aura une meilleure compréhension des failles du système, des compagnons de route plus déterminés, et un véritable programme de représailles ciblées. Le danger pour l&#39;Amérique est existentiel.</p><p>Aussi créative soit-elle, l’imagination humaine peine à dessiner le futur. Egarée, peut-être, par notre besoin irrépressible de familiarité. Nous avons tous conscience des moments d’instabilité grave, de crise, ou de soulèvement révolutionnaire qui jonchent l’histoire. Nous savons que de tels événements ont été légion lors des derniers siècles, décennies ou années. Mais nous refusons l’idée qu’ils pourraient bien se produire de nouveau <em>demain</em>.</p><p>Quand il s’agit de Trump, l’imagination perd encore un peu plus sa boussole. L’ancien président opère si loin des limites usuelles du comportement humain – sans même parler de celles de l’action politique – qu’il est difficile d’appréhender ce qu’il nous prépare, alors même que ses intentions sont connues. Qui plus est, nous avons déjà eu un mandat Trump, et il y a là de quoi nourrir un faux sentiment de sécurité. Nous avons survécu une fois, la démocratie américaine aussi. Le danger est-il si élevé qu’on le dit?</p>### **Premier discours, premier mensonge**

Pendant son premier mandat, la corruption et la brutalité de Trump ont été contrebalancées par son ignorance et sa paresse. De retour aux manettes, il aurait dans sa manche de nombreux atouts: une bien meilleure compréhension des failles du système, des alliés plus déterminés à ses côtés, et un plan de représailles ciblées à l’encontre de ses adversaires – lui-même se réservant une impunité totale. En évaluant ce qu’une seconde présidence Trump pourrait nous réserver, beaucoup sous-estiment l’ampleur du chaos à venir.

L’homme est déjà empêtré dans de multiples procédures criminelles, qui vont s’intensifier dans les mois à venir. Il n'est pas impossible qu'au jour de l’élection, le 5 novembre 2024, il soit déjà condamné au titre d’une ou plusieurs d'entre elles. Et s'il remporte l'élection, il n’y aura pas à attendre longtemps pour assister au premier crime de son second mandat. Le 20 janvier 2025, vers midi, Donald Trump se rendra coupable de parjure en prononçant son discours d’investiture: lorsqu’il promettra de défendre la Constitution des États-Unis.

Un second mandat de Trump plongerait instantanément le pays dans une crise constitutionnelle plus terrible que tout ce que la guerre de Sécession a pu produire. Même au plus fort de la Guerre froide, même pendant la Grande Dépression, le pays disposait d’un gouvernement en état de marche avec un président à sa tête. Mais l’exécutif ne peut pas fonctionner sous les ordres d’un criminel, présumé ou condamné. Devenu hors-la-loi ou en passe de le devenir, ce président-là devra démanteler l'État de droit pour survivre.

### **L’agenda du chaos**

Grâce à l’intéressé et son entourage, nous avons déjà une idée assez claire des priorités d’un futur gouvernement Trump:

  1. Faire cesser toutes les poursuites contre Trump, pénales ou civiles, au niveau fédéral ou des Etats constitués.

  2. [Gracier et protéger](https://www.nbcnews.com/politics/donald-trump/trump-says-pardon-large-portion-jan-6-rioters-rcna83873) ceux qui ont tenté de renverser le cours de l'élection de 2020 au profit de Trump.

  3. Traquer les adversaires et détracteurs de Trump [via le département de la Justice.](https://www.washingtonpost.com/politics/2023/11/09/trump-interview-univision/)

  4. [Mettre fin à l'indépendance de la fonction publique](https://www.theatlantic.com/magazine/archive/2024/01/donald-trump-2024-reelection-cabinet-appointments/676121/) et licencier les fonctionnaires fédéraux qui refusent d'exécuter les ordres de Trump.

  5. Au cas où ces décisions sans foi ni loi susciteraient des manifestations dans les grandes villes, [employer l'armée pour](https://www.newsweek.com/trump-could-legally-quell-protests-military-mark-esper-1842888) écraser toute protestation populaire.

Un retour de Trump entraînerait les Etats-Unis dans un maquis de scénarios jusque-là impensables. Le Sénat confirmera-t-il les candidats nommés par Trump à des postes à responsabilités, choisis pour assister le président dans son coup d'État? Les agents du ministère de la Justice vont-ils démissionner en masse? Les citoyens vont-ils descendre dans la rue pour protester? Les militaires accepteront-ils de réprimer les manifestations?

### **Les failles d’un système**

Le système politique actuel n’est pas conçu pour résister aux manœuvres subversives d’un criminel en chef à Washington. Un président peut se gracier lui-même pour des crimes fédéraux, et c’est sans doute ce que Trump prévoit de faire. Qu’est-ce qui l’empêcherait, dans ces conditions, de rédiger sa propre grâce présidentielle à l'avance avant de tirer sur les visiteurs de la Maison-Blanche? Soit dit en passant, dans la même logique, la vice-présidente pourrait assassiner le président dans le bureau ovale et se gracier dans la foulée…

Si un président peut ordonner au procureur général d'abandonner une procédure fédérale contre lui – on voit mal Trump résister à cette tentation –, l'obstruction de la justice pourrait devenir de facto une prérogative usuelle de la Maison-Blanche. Si Trump devient président, les États-Unis doivent leurs plus plates excuses à Richard Nixon, lequel aurait été dans son droit d'ordonner au ministère de la Justice [d’abandonner l’enquête sur l’affaire du Watergate](https://www.washingtonpost.com/wp-srv/national/longterm/watergate/articles/102173-2.htm). Il aurait d’ailleurs pu se gracier lui-même, ainsi que toutes les personnes impliquées dans le cambriolage de l’immeuble du Watergate et la dissimulation des preuves à la justice.

### **Une nouvelle génération d’affidés**

Après son élection en 2016, Trump s’est vite trouvé entouré de personnalités influentes, bien conscientes de la menace que représentait ce président sans foi ni loi. Ces pompiers improvisés sont parvenus à contenir un homme qu'ils considéraient, pour reprendre les [mots du premier secrétaire d'État de Trump](https://slate.com/news-and-politics/2017/10/now-we-know-why-rex-tillerson-called-donald-trump-a-moron.html) Rex Tillerson, comme *«un foutu imbécile»* (*«a fucking moron», ndlr.*) ou, pour [citer son deuxième chef de cabinet](https://www.cnn.com/2020/10/16/politics/donald-trump-criticism-from-former-administration-officials/index.html) John Kelly, comme *«la pire personne que j'aie rencontrée dans ma vie»*, à *«la malhonnêteté tout bonnement incroyable»*. En cas de second mandat Trump, inutile de compter sur des Tillerson ou des Kelly. Ni sur un procureur général comme Jeff Sessions, dont la décision [de se récuser de l'enquête](https://www.youtube.com/watch?v=wgos4aGdgHo) sur les liens entre Trump et Moscou a permis la nomination d’un procureur spécial indépendant.

Depuis 2021, les Républicains sceptiques à l'égard de Trump ont été écartés de la vie politique. [Liz Cheney](https://www.nytimes.com/2022/08/16/us/politics/harriet-hageman-liz-cheney-wyoming.html) et [Adam Kinzinger](https://www.theatlantic.com/ideas/archive/2023/10/adam-kinzinger-renegade-prodemocracy-republicans/675846/) ont perdu leur siège à la Chambre des représentants pour avoir défendu l'intégrité des élections. Tom Emmer [a retiré sa candidature au poste de président de la Chambre des représentants](https://www.cnn.com/2023/10/24/politics/tom-emmer-house-speaker/index.html) pour la même raison. Le groupe républicain au Sénat est devenu moins réceptif à l’autoritarisme trumpien, mais les sénateurs républicains les plus jeunes et récemment élus (Ted Cruz, Josh Hawley, J. D. Vance) ont tendance à soutenir les projets de Trump, tandis que ses adversaires au Sénat appartiennent à la génération sortante. Au sein du Parti républicain, les principaux rivaux de Trump pour l'investiture de 2024 osent rarement critiquer ses abus de pouvoir.

La plupart de ceux qui seront appelés à diriger le pays en cas de second mandat Trump sont d’une trempe servile. Des affidés ayant déjà absorbé la réalité brutale du Parti républicain d’aujourd’hui: défendre la démocratie, c'est renoncer à sa carrière. Un carré d’opportunistes techniquement compétents s’est déjà constitué, issu des *think tanks* de droite et d’autres cercles. Il a d’ores et déjà commencé à planifier avec précision le démantèlement de tous les garde-fous institutionnels qui pourraient faire obstacle à la corruption et aux impulsions vengeresses de Trump. Ses probables futurs conseillers à la Maison-Blanche n’ont pas fait mystère du fait qu’ils partageaient sa volonté de se soustraire à la loi et d’utiliser les forces de l’ordre contre ses opposants – la famille Biden, mais aussi d’anciens compagnons de route comme l'[ex-procureur général William Barr](https://www.washingtonpost.com/politics/2023/11/05/trump-revenge-second-term/) et [l’ancien chef d’état-major des armées Mark Milley](https://www.theatlantic.com/ideas/archive/2023/09/trump-milley-execution-incitement-violence/675435/).

### **Le monde à l’envers**

Si Trump accède de nouveau à la présidence, le monde entier deviendra le théâtre de sa politique de revanche et de récompense. L'Ukraine sera abandonnée à Vladimir Poutine; l'Arabie saoudite recevra les fruits de ses investissements passés dans la famille Trump.

Pendant son premier mandat, Trump a confié à ses collaborateurs qu'il souhaitait se retirer de l'OTAN. De retour aux manettes, il choisira des collaborateurs qui ne le dissuaderont pas de le faire. D'autres partenaires devront s'adapter à l'autoritarisme et à la corruption qui régnerait à la Maison-Blanche. Les libéraux en Israël et en Inde perdront le soutien américain. Les démocraties d'Asie de l'Est devront composer avec le protectionnisme et les guerres commerciales de Trump. Pour peu qu’il mette fin au flux migratoire vers les Etats-Unis, le [parti antidémocratique Morena](https://www.theatlantic.com/ideas/archive/2023/02/mexico-democracy-autocrat-andres-manuel-lopez-obrador/673137/) au Mexique aura les coudées franches pour étouffer les institutions indépendantes du pays.

De toute façon, les États-Unis seraient trop paralysés par leurs problèmes domestiques pour venir en aide à leurs alliés à l'étranger.

### **La démocratie n’est pas l’objectif**

Si Trump est élu, il est très probable que ce ne sera pas avec la majorité du suffrage populaire. Imaginez le scénario: Trump est élu par les grands électeurs avec seulement 46% des votes citoyens, parce que des candidats tiers financés par des donateurs républicains ont réussi à diviser la coalition anti-Trump. Sans avoir jamais réussi à s’imposer devant le peuple, Trump entre à la Maison-Blanche pour la deuxième fois. Lui et ses partisans s’emploient alors à mettre en œuvre son programme de vengeance politique et d’impunité personnelle, en dépit d’une légitimité politique fragile.

Dans ce scénario, les opposants à Trump doivent faire face à une dure réalité: le système électoral américain aura privilégié une minorité stratégiquement implantée, dirigée par un président délinquant, au détriment de la majorité démocratique. Battu dans les urnes, le camp minoritaire s’arroge malgré tout le pouvoir de gouverner.

Ce camp n’aurait aucun scrupule à justifier la tournure des événements. *«Nous sommes une république, pas une démocratie»*, disaient beaucoup d'entre eux en 2016, lors de la première élection de Trump contre Hillary Clinton. Depuis lors, les mêmes s'opposent de plus en plus ouvertement à la démocratie. Comme l'[a tweeté le sénateur Mike Lee](https://twitter.com/SenMikeLee/status/1314089207875371008) un mois avant les élections de 2020: *«La démocratie n'est pas l'objectif»*.

Tant que le pouvoir de la minorité semble résulter d’un coup du sort occasionnel, la majorité peut l'accepter. Mais si les mal élus s’évertuent à conserver le pouvoir et l'utilisent pour subvertir le système juridique et constitutionnel, la majorité peut commencer à se rebiffer. L'une des conséquences d'un second mandat de Trump pourrait ainsi être une version américaine des [manifestations massives dans les rues de Tel-Aviv](https://www.theatlantic.com/photo/2023/07/israel-protest-law-supreme-court-powers/674815/) en 2023, lorsque Benjamin Netanyahou a tenté de remodeler le système judiciaire israélien en sa faveur.

### **Qu’est-ce qui pourrait mal tourner?**

Qu'est-ce qui pourrait suivre? En 2020, les conseillers de Donald Trump ont évoqué la possibilité d'utiliser l'armée pour écraser les manifestations contre les projets du président de rester au pouvoir malgré sa défaite dans les urnes. Aujourd'hui, les membres de l'entourage de Trump semblent voir plus loin. Certains [voudraient se préparer à invoquer](https://www.washingtonpost.com/politics/2023/11/05/trump-revenge-second-term/) l’Insurrection Act pour mettre l'armée au service de leur projet autoritaire. L’idée paraît stupéfiante. Mais Donald Trump y pense, donc tout le monde se doit de la prendre au sérieux, jusque dans les hautes sphères du commandement militaire.

Si un président peut demander l'ouverture d'une enquête sur ses opposants ou ordonner à l'armée de réprimer des manifestations, notre société aura cessé d’être libre. Il n'y aura plus d’Etat de droit, seulement une persécution légalisée des opposants politiques. Le souhait politique suprême de Trump a toujours été de brandir à la fois la loi et la violence institutionnelle comme attributs personnels du pouvoir. Beaucoup dans son parti semblent aujourd'hui déterminés à lui en donner les moyens.

Cette sombre perspective est la question centrale du scrutin de 2024. Si Trump est battu, les États-Unis pourront continuer à traiter les grands problèmes de notre temps de la manière imparfaite qu'on leur connaît: les guerres au Moyen-Orient et en Ukraine, le changement climatique, l’éducation et l'égalité des chances, la croissance économique et le niveau de vie des individus, etc. Arrêter Trump ne permettrait pas de progresser sur ces questions, mais de préserver la possibilité du progrès, en maintenant en vie la structure constitutionnelle et démocratique des États-Unis.

Une nouvelle présidence Trump, à l’inverse, serait une onde de choc qui écraserait toutes les autres questions. Elle marquerait un tournant vers une voie sombre, l'une de ces déchirures entre l’«avant» et «l’après» qu'une société ne peut jamais réparer, à l’instar de [l’assaut du Capitole le 6 janvier 2021](https://www.theatlantic.com/magazine/archive/2022/01/january-6-insurrection-trump-coup-2024-election/620843/). La longue tradition des transitions pacifiques du pouvoir a été rompue ce jour-là, et même si la tentative de coup a échoué, la violence elle-même n'a pas été effacée. Les plans et les complots d'un second mandat de Trump peuvent aussi être défaits. Mais tous les futurs dictateurs en puissance sauront qu’un président peut tenter un coup d'État et, s'il échoue, revenir au pouvoir pour tenter de réitérer.

### **Une république, si vous pouvez la garder**

Comme en témoignent les mémoires et les prises de paroles publiques, de nombreux membres du cabinet et de l'équipe dirigeante de Trump étaient horrifiés par le président qu'ils servaient. Les dirigeants de son propre parti au Congrès le craignaient et le détestaient. Les plus gros donateurs du Parti républicain ont travaillé pendant trois ans pour essayer de faire nommer quelqu'un, n'importe qui d'autre. Mais les partisans de Trump convergent de nouveau vers leur candidat et se persuadent qu’il existe des motifs justifiables pour porter de nouveau au pouvoir l’auteur d’un coup d’Etat échoué: les impôts, le contrôle des frontières, quelques commentaires stupides d’étudiants *«woke»*.

Mais pour que la démocratie perdure, la sauvegarde du système démocratique lui-même doit être l'engagement suprême de ses principaux participants. Le respect des urnes importe plus que les noms sur les bulletins. Dans le cas contraire, tout le système menace de s’effondrer. Et c’est la direction que nous sommes en train de prendre.

A l’issue de l’assemblée constituante de 1787, il est dit que des citoyens ont demandé à Benjamin Franklin quel type de régime avait instauré la toute nouvelle Constitution votée par les pères fondateurs. *[«Une république, si vous pouvez la garder»](https://www.theatlantic.com/ideas/archive/2020/02/a-republic-if-we-can-keep-it/605887/)*, aurait-il répondu *(par opposition à une monarchie, ndlr.)*. Il n’entendait pas par là qu’on pouvait égarer la république comme par étourderie. Il prévoyait que des ambitieux et des impitoyables surgiraient pour essayer de mettre à bas le régime, avec l’assistance éventuelle des faibles ou des cupides.

Depuis 2016, l’Amérique se frotte au défi énoncé par Benjamin Franklin. Cette histoire comporte quelques méchants, beaucoup de héros, et juste assez de chance pour faire pencher la balance du bon côté. Il serait dangereux de continuer à compter sur notre seule bonne étoile.

<br/> *Traduit de l’anglais et édité par Yvan Pandelé. L’article original a été publié le 4 décembre 2023 [par The Atlantic](https://www.theatlantic.com/magazine/archive/2024/01/donald-trump-reelection-second-term-agenda/676119/).*

https://www.heidi.news/articles/si-trump-revient-c-en-est-fini-de-la-democratie-americaine

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