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La fin d’un monde, ou comment Trump pourrait tuer l’OTAN

<img src="https://heidi-17455.kxcdn.com/photos/56bf5ddc-5b28-431b-95a8-1abc8b78a8e3/medium" /><p>S&#39;il est réélu en 2024, Donald Trump voudra sans doute mettre fin à l’engagement américain au sein de l’Organisation du traité de l&#39;Atlantique Nord (OTAN). L’ordre mondial s’en trouvera instantanément bouleversé, et les garde-fous institutionnels américains n’y pourront pas grand-chose.</p><blockquote>
<p><em>«Je me fous de l&#39;OTAN.»</em></p></blockquote>
<p>C&#39;est en ces termes que Donald Trump a <a href="https://foreignpolicy.com/2020/06/23/bolton-book-trump-nato-ukraine-election/" rel="nofollow noopener" target="_blank">exprimé un beau jour ses sentiments</a> à l&#39;égard de l&#39;alliance militaire la plus ancienne et la plus solide des États-Unis. Cette déclaration, faite en présence de John Bolton, le conseiller à la sécurité nationale de l&#39;époque, n&#39;est pas une surprise. Bien avant de se lancer en politique, Trump <a href="https://www.nytimes.com/2016/07/21/us/politics/donald-trump-issues.html?_r=0" rel="nofollow noopener" target="_blank">remettait déjà en question les alliances américaines</a>. C’est ainsi qu’<a href="https://www.washingtonpost.com/news/post-politics/wp/2015/09/11/trump-tells-ukraine-conference-their-nation-was-invaded-because-there-is-no-respect-for-the-united-states/" rel="nofollow noopener" target="_blank">il écrit en 2000</a>, à propos des Européens: <em>«Leurs conflits ne valent pas les vies américaines. Se retirer de l&#39;Europe permettrait à notre pays d&#39;économiser des millions de dollars chaque année.»</em></p>
<h3>Aucun adulte dans la pièce</h3>
<p>L&#39;OTAN, fondée en 1949 et soutenue depuis trois quarts de siècle par les démocrates, les républicains et les indépendants, est depuis longtemps <a href="https://www.theatlantic.com/international/archive/2018/07/american-commitments-nato-trump/565601/" rel="nofollow noopener" target="_blank">dans le viseur de Donald Trump</a>. L’ancien président a menacé de se retirer de l’Alliance à de nombreuses reprises – y compris lors du funeste sommet de l&#39;OTAN de 2018. Cette volonté est restée lettre morte, parce qu&#39;il y avait toujours quelqu&#39;un pour l&#39;en dissuader. John Bolton dit l&#39;avoir fait. Jim Mattis (secrétaire à la Défense), John Kelly (chef de cabinet), Rex Tillerson (secrétaire d’Etat, c’est-à-dire chef de la diplomatie), son successeur Mike Pompeo, et même Mike Pence (vice-président) auraient fait de même.</p><p>Mais Trump n’a pas changé d&#39;avis. Et s’il est réélu en 2024, aucune de ces conseillers ne sera plus à la Maison-Blanche: tous ont rompu avec l&#39;ancien président, parfois de <a href="https://www.theatlantic.com/politics/archive/2020/06/james-mattis-denounces-trump-protests-militarization/612640/" rel="nofollow noopener" target="_blank">manière spectaculaire</a>. Quant aux autres analystes républicains ayant une expertise sur la Russie et l&#39;Europe, ils se sont <a href="https://www.nytimes.com/2016/08/09/us/politics/national-security-gop-donald-trump.html" rel="nofollow noopener" target="_blank">publiquement engagés contre Trump en 2016</a> ou l&#39;ont critiqué après son départ en 2020. Lors d&#39;un second mandat, Trump serait entouré de personnes qui, soit partagent son aversion pour les alliances américaines en matière de sécurité, soit n&#39;y connaissent rien et s&#39;en fichent. Cette fois, les mauvaises dispositions de Trump <a href="https://www.theatlantic.com/international/archive/2018/07/trump-nato-allies/564881/" rel="nofollow noopener" target="_blank">à l&#39;égard des alliés de l’Amérique</a> auraient toutes les chances de déboucher sur un réel changement de cap.</p>
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<p><em>«Les dégâts qu&#39;il a causés lors du premier mandat étaient réparables»</em>, m&#39;a confié John Bolton. <em>«Ceux d’un second mandat ne le seraient pas.»</em></p></blockquote>

<h3><strong>Une bronca institutionnelle prévisible</strong></h3>
<p>Quitter l&#39;OTAN ne serait pas pour autant une partie de plaisir pour Trump. A peine ses intentions annoncées, il faudrait s’attendre à une crise institutionnelle. L&#39;approbation du Sénat est requise pour signer un traité international engageant les Etats-Unis, mais la Constitution ne dit rien du retrait d’un tel traité. Conscients de ce vide juridique, les sénateurs Tim Kaine (démocrate) et Marco Rubio (républicain) ont déposé un projet de loi. Déjà adopté par le Sénat, il vise à <a href="https://thehill.com/policy/defense/4093304-senators-reintroduce-bill-to-prevent-u-s-president-from-leaving-nato/" rel="nofollow noopener" target="_blank">empêcher le président américain de se retirer de l&#39;OTAN</a> à moins de faire voter une loi spécifique au Congrès ou d’obtenir le soutien des deux tiers du Sénat.</p>Ces initiatives suffiront-elles à empêcher Trump de passer à l’acte? *«Je suis persuadé que les tribunaux nous donneront raison et n'autoriseront pas un président à se retirer de façon unilatérale»,* m’a confié Tim Kaine, tout en concédant qu'il y aurait sans doute un combat institutionnel à mener. Le combat serait aussi politique. Sur le plan des relations publiques, la controverse suscitée par un retrait de l’OTAN serait immédiate. Un large éventail de personnes – anciens commandants de l’Alliance et chefs d'état-major, ex-présidents américains, chefs d'État étrangers – se mobiliseraient pour plaider la cause de l’Organisation avec force.

### **La géopolitique se passe dans les têtes**

Mais tout cela n'aurait pas nécessairement d'importance, car bien avant que le Congrès ne se réunisse pour discuter du traité, le mal aura été fait. La principale source d'influence de l'OTAN n'est pas juridique ou institutionnelle, elle est psychologique. Dans l’esprit de quiconque menacerait un membre de l'Alliance réside la certitude de se heurter à une défense collective. Si l'Union soviétique n'a jamais attaqué l'Allemagne de l'Ouest entre 1949 et 1989, ce n'est pas parce qu'elle craignait une réponse allemande. Si la Russie n'a pas attaqué la Pologne, les États baltes ou la Roumanie au cours des 18 derniers mois, ce n'est pas parce qu'elle craint la Pologne, les États baltes ou la Roumanie. L'Union soviétique s'est tenue à carreaux, comme la Russie continue de le faire aujourd'hui, parce que Moscou croit fermement à l'engagement américain pour la défense de ces pays.

Cet effet de dissuasion ne découle pas du seul [traité de l'OTAN](https://www.nato.int/cps/en/natohq/official_texts_17120.htm), un document schématique dont les signataires conviennent simplement, à l'article 5, «*qu’une attaque armée contre l'un ou plusieurs d’entre eux survenant en Europe ou en Amérique du Nord sera considérée comme une attaque dirigée contre toutes les parties»*. La dissuasion découle de la conviction du Kremlin que les Américains croient réellement à la défense collective, que l'armée américaine y est préparée et que le président américain s’engage à agir si la sécurité collective est remise en question.

Donald Trump pourrait sonner le glas de cette conviction par un seul discours, un seul commentaire, voire un seul message sur Truth Social – le réseau social qu’il a fondé après s’être fait évincer de Twitter. Qu’importe que le Congrès, les médias et le Parti républicain continuent à débattre de la légalité d'un retrait américain du traité. Qu’importent les obligations de papier. Une fois que le chef des armées aura déclaré *«Je ne viendrai pas au secours d’un allié qui subit une attaque»*, qui pourrait encore craindre l’OTAN? Et si les Russes, ou n’importe qui d’autre, n’ont plus à se soucier d’une riposte américaine, les chances qu’ils se risquent à conduire une attaque augmentent en flèche.

Un tel scénario pourrait sembler improbable – il ne l’est pas. Avant février 2022, [nombreux étaient ceux qui refusaient de croire à](https://www.theatlantic.com/ideas/archive/2022/03/putin-russian-political-deterioration/626966/) une invasion russe à grande échelle en Ukraine.

J'ai demandé à plusieurs personnes ayant des liens étroits avec l'OTAN d'imaginer ce qui arriverait à l'Europe, à l'Ukraine, et même à Taïwan et à la Corée du Sud, si Trump déclarait qu’il ne se sentait plus lié par l'article 5. Toutes ont convenu que la foi dans la défense collective pourrait s'évaporer en un tournemain.

### **L’Ukraine au bord du gouffre**

Alexander Vershbow, ancien ambassadeur des États-Unis auprès de l'OTAN et ancien secrétaire général adjoint de l'OTAN, note que Trump pourrait démettre l'ambassadeur américain de ses fonctions, empêcher les diplomates d'assister aux réunions ou cesser de contribuer au budget de fonctionnement du siège de l’organisation à Bruxelles, sans avoir à craindre une censure du Congrès. *«Au plan légal, il n’y aurait aucun moyen de l’en empêcher.»* Il faudrait plus de temps pour fermer les bases américaines en Europe et rapatrier les milliers de soldats américains qui y sont stationnés. Mais en tout état de cause, tous les organes politiques de l’Alliance devraient changer leur mode de fonctionnement du jour au lendemain.

James Goldgeier, professeur de relations internationales à l'American University et auteur de plusieurs ouvrages sur l'OTAN, confirme qu’une telle décision serait de nature à semer le chaos. *«Ce n’est pas comme si on pouvait dire qu’on a un autre plan pour faire face à la situation.»* Il n'y a pas de leadership de rechange, pas d'autres fournisseurs de systèmes de commandement et de conduite, d’armes spatiales, ou même de munitions. L'Europe serait immédiatement exposée à une éventuelle attaque russe à laquelle elle n'est pas préparée, et à laquelle elle ne pourrait se préparer avant de nombreuses années.

Sans l'OTAN, et sans un engagement américain en faveur de la sécurité européenne, les livraisons d’aide militaire à l’Ukraine seraient aussi destinées à se tarir. La perspective d'une sortie de l'Amérique de l'OTAN obligerait de nombreux pays européens à garder leurs ressources militaires pour eux, par peur d’une invasion. Les Ukrainiens commenceraient à manquer de munitions assez rapidement. La conquête de toute l'Ukraine par la Russie, qui reste l'[objectif de Poutine](https://www.theatlantic.com/ideas/archive/2023/11/us-ukraine-support-putin-defeat/675953/), redeviendrait envisageable. La logistique militaire ukrainienne s’en trouverait fortement compliquée, car les Russes pourraient bombarder les aéroports et les centres d'approvisionnement situés en Pologne et en Roumanie voisines. Cela a déjà bien failli se produire: au moins un missile russe [a frappé la Pologne](https://www.wsj.com/articles/russian-cruise-missile-that-struck-poland-exposes-natos-air-defenses-3312d456) par accident, et des frappes russes ont touché la frontière roumano-ukrainienne. Au début de la guerre, les Russes [ont délibérément attaqué](https://www.reuters.com/world/europe/air-strike-launched-ukraine-military-base-near-polish-border-lviv-authorities-2022-03-13/) une base dans l'ouest de l'Ukraine, tout près de la frontière polonaise, où s'entraînaient des recrues étrangères. Si les Russes commencent à cibler des bases en Pologne même, la livraison d’armes à l'Ukraine deviendrait impossible.

### **La fin d’un monde**

L’onde de choc ne s’arrêterait pas à l'Europe. Si Trump retire clairement son appui à l'OTAN, toutes les autres alliances militaires de l'Amérique seront menacées. Taïwan, la Corée du Sud, le Japon et même Israël se rendront compte qu'ils ne peuvent plus compter sur le soutien automatique des États-Unis. La fin de l'OTAN ne les affectera peut-être pas directement, mais sa disparition signifierait que tout le monde, partout, doit considérer que les États-Unis ne sont plus un allié fiable.

Au fil du temps, tous les alliés de l'Amérique commenceront à se couvrir. De nombreux pays européens choisiront de s’acoquiner avec la Russie. Bon gré mal gré, de nombreux pays asiatiques opteront pour un rapprochement avec la Chine – *«par simple souci d’autopréservation»*, comme dit Tim Kaine. Pour se mettre à l’abri d’une invasion, les dirigeants pragmatiques des pays proches de la Chine ou de la Russie commenceront à prendre plus au sérieux les exigences commerciales et politiques de leur voisin, respectivement deuxième et troisième puissances militaires au monde.

De nombreux partis politiques et chefs d'État soutenus par Moscou ou Pékin (ou par leurs alliés tels que l'Iran, le Venezuela, Cuba…) disposeraient d'un argument convaincant en faveur [de l’autocratie](https://www.theatlantic.com/magazine/archive/2021/12/the-autocrats-are-winning/620526/): les Etats-Unis, dont l'image a déjà été gravement écornée par Trump, seront perçus comme en déclin. Au fil du temps, l'influence économique américaine déclinera également. Les accords commerciaux et les arrangements financiers s’en trouveront modifiés, ce qui aura un impact sur les entreprises américaines et, à terme, sur l'économie du pays.

Si Trump est réélu, les Américains seront tellement accaparés par le drame de leurs propres institutions défaillantes que, pendant un long moment, la plupart d'entre eux ne remarqueront pas les problèmes causés par un ordre international en pleine bascule. Les problèmes de la Lituanie et de la Corée du Sud sembleront lointains, sans importance. La fin de l'influence américaine se déroulera probablement dans une relative obscurité. Lorsque les citoyens américains se rendront compte de l'ampleur des changements, il sera trop tard.

<br/> *Traduit de l’anglais et édité par Yvan Pandelé. L’article original a été publié le 4 décembre 2023 [par The Atlantic](https://www.theatlantic.com/magazine/archive/2024/01/trump-2024-reelection-pull-out-of-nato-membership/676120/).*

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