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 Heidi.news

Bleu comme ma première pastille d'amphétamine

<img src="https://heidi-17455.kxcdn.com/photos/a31e4c60-0b84-44ea-a5c5-c272db980d68/medium" /><p>Dans ce deuxième épisode, notre journaliste s’emporte sur la France, pays qui suscite la fascination chez les Américains et des complexes chez les Suisses. Elle nous raconte sa première expérience sous amphétamines avec son voisin de palier et, ce faisant, esquisse les contours d’une épidémie qui, en 2005, n’avait pas encore déferlé sur le Vieux Continent: celle des troubles du déficit de l’attention (TDA/H) chez les enfants. </p><p>Mon accent français fait des ravages. Immédiatement, j’en rajoute une couche. Je ne dis plus <em>thank you</em>, mais <em>dankiou</em>, <em>olidé</em> pour <em>holiday</em> et <em>embourguère</em> à la place de <em>hamburger</em>. Je fais la bise, aussi. Deux fois, comme à Paris, et non trois comme en Suisse. Les week-ends, adossée au bar du village, une cigarette slim entre les lèvres, je converse en tirant la gueule. Tirer la gueule, ça fait <em>french</em> et les Américains adorent. </p><p>De manière générale, tout ce qui touche à la France, des croissants au camembert en passant par Jacques Derrida, se pare d’élégance à leurs yeux. Sur mon campus, les étudiants s’exaltent devant Proust et Flaubert, matent en boucle du Godard et du Truffaut, et suivent des cours de <em>French Theory</em>, une discipline qui n’existe pas chez nous et qui fait fureur chez eux. Je me demande d’ailleurs si le rayonnement de la France, celle qui séduit par sa poésie, ses arts et ses huîtres, ne résulterait pas, somme toute, d’une construction purement américaine.</p>
<h3><strong>Le mauvais côté de la prairie</strong></h3>
<p>Inondé de clichés et d’images qui, pour la plupart, ont été tournées dans des studios hollywoodiens, le cerveau de l’Américain n’est tout simplement pas apte à voir ce qu’est véritablement la France, à savoir une contrée ravagée par des ronds-points, des hypermarchés et des Français qui se plaignent sans cesse derrière le volant de leurs Peugeot et de leurs Renault. Le Suisse n’a pas hérité de ce travers. Il voit clair. Le Suisse, en particulier le Genevois qui vit à côté et au-dessus de la France, conserve en tout temps un regard lucide et oxygéné sur la réalité qui l’entoure. Et c’est précisément parce qu’il voit ce que l’Américain ne peut voir qu’il se préserve. Il sait que plus il garde ses distances, mieux il se porte.</p><p>Il arrive naturellement que le Suisse se trompe de sortie et que, sans s’en rendre compte, il se retrouve en France. A mesure qu’il roule, le paysage gagne en hostilité, des pensées sombres l’envahissent et soudainement, il envisage très sérieusement de mettre fin à ses jours. Ce n’est qu’en rejoignant la route suisse qu’il réalise que ce n’était rien. Il s’était simplement égaré quelques instants du mauvais côté de la prairie.</p>
<h3><strong>Duel franco-suisse</strong></h3>
<p>Au début, je ne me suis pas laissée faire. J’ai tenu bon et j’ai combattu pour la Suisse. Œuvrant pour la vérité, j’ai mitraillé cette France bucolique couverte de lavande et de vieux châteaux qui n’existe que dans la tête des Américains, ainsi qu’éventuellement dans celle des Japonais, des Chinois, des Allemands et dans celle de presque tous les autres ressortissants du monde.</p><p>Et puis un jour, j’en ai eu marre. Marre de devoir leur expliquer des heures durant, à ces Américains, que la Suisse (<em>Switzerland</em>) ce n’est pas la Suède (<em>Sweden</em>) et qu’en Suisse, bien qu’on parle le français comme les Français, les Français on en a horreur. J’ai donc changé mon fusil d’épaule et je suis devenue <em>french</em>, ce qui n’est même pas un mensonge vu que je dispose, de par mon père breton qui n’a toujours que méprisé la France et les Français, la binationalité franco-suisse.</p><p>A présent, je dis - <em>yes, I’m French</em>. Eux s’exclament d’emblée - <em>whoa, that’s awesome</em> et ensuite tout ce qui sort de ma bouche leur paraît si incroyablement raffiné que j’en viens presque à me demander si je ne le serais pas, en effet.</p>
<h3><strong>Jack</strong></h3>
<p>Le seul type de mon université qui estime que ma frenchitude est le summum du naze, c’est Jack. Jack c’est mon voisin de palier. Il se balade sur le campus avec une casquette à l’envers, il écoute du RnB et il dit <em>dude</em>. – <em>Hey dude</em> – <em>What’s up dude?</em> Jack appartient à ces êtres arriérés ou précurseurs, c’est selon, dont les parents ont voté pour George W. Bush et qui estiment que c’était la bonne chose à faire d’aller rétablir l’ordre en Irak. Pour Jack, la France se réduit à un champ de poules mouillées qui ne fait même pas la taille du Texas. Lorsqu’il commande des frites, il ne dit pas <em>French fries</em> mais <em>Freedom fries</em>.</p><p>C’est mardi. Je suis dans ma chambre et je me fais les ongles en écoutant Aqua Concert sur la Radio suisse romande. Jack débarque. Sans se déchausser, il se vautre sur mon lit et commence aussitôt à me poser des questions les unes plus idiotes que les autres. Il aimerait par exemple savoir si c’est vrai que dans mon pays de mauviettes, là-bas en France, les filles ont des poils sous les bras. En mâchant son chewing-gum la bouche grande ouverte, il me fixe avec une sorte de dégoût teinté d’excitation et ajoute:</p>
<ul>
<li><em>Your armpits, are they shaved?</em></li>
</ul>
<p>Je mets mon podcast sur pause. J’ôte mon pull, remonte mes coudes et lui expose mes aisselles. Je souris car mes aisselles, j’en suis fière. Je sais que des si douces et des si lisses, Jack n’a pas dû en voir souvent. Il plisse ses yeux et s’exclame:</p>
<ul>
<li><p><em>Holy shit, they are shaved.</em></p></li>
<li><p><em>Waxed,</em> rectifié-je froidement. Je m’épile à la cire. Quant à la politique capillaire des Françaises, je ne saurai te répondre, vu que je suis suisse.</p></li>
<li><p>Suisse, répète Jack, cherchant, j’imagine, à localiser cet endroit sur la carte.</p></li>
<li><p>Les Alpes, ça te dit quelque chose? Le Toblerone? Chapuisat? Roger Federer?</p></li>
</ul>
<p>Je lui décris nos montagnes et nos lacs.</p>
<ul>
<li>Ça veut dire que tu parles le suisse?, continue Jack.</li>
</ul>
<p>Je lève les yeux au ciel et lui dis que l’Amérique est un pays affligeant. Il rétorque:</p>
<ul>
<li>Pourquoi t’es venue ici, alors?</li>
</ul>
<p>Il me demande ensuite de lui citer ne serait-ce qu’une chose que nous les Suédois, là-bas en Europe, faisons mieux que les Américains.</p>
<ul>
<li><p>Nos fruits, je réponds sans réfléchir. Nous ne les enduisons pas de cire. Et puis notre lait. En Suisse nous buvons du lait entier. Du lait vrai. As-tu déjà goûté du vrai lait, Jack?</p></li>
<li><p>A L.A. on boit du kombucha. Tu vois ce que c’est? Je te ferai goûter, c’est <em>hyper healthy.</em></p></li>
</ul>
<p>Je lui dis que la nourriture américaine est immangeable.</p>
<ul>
<li>Sauf vos bagels et vos steaks bourrés d’hormones. Ca vous savez faire, les steaks bourrés d&#39;hormones.</li>
</ul>
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