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Cap sur le Groenland, pour lire l’avenir du monde dans la glace

<img src="https://heidi-17455.kxcdn.com/photos/3a0b2a04-e482-4c73-aa5c-af1d4118a810/medium" /><p>Dans les glaces du Groenland, des Suisses prédisent le destin de la planète, et de l’humanité. Ce ne sont pas des prophètes mais des scientifiques, armés de sondes et de tubes à essai. Durant l&#39;été 2023, nous avons suivi une expédition inédite qui a germé à Sion, nouvelle capitale de l’exploration polaire helvétique.</p><p>«Iceberg, droit devant!» Ces mots, qui signent la fin tragique du <em>Titanic</em> en 1912, sont aussi ceux qui marquent le début de notre expédition, aux confins de la calotte glaciaire du Groenland. En ce matin d’août, l’<em>Adolf Jensen</em> – un navire de recherche de 30 mètres de long – navigue à vue dans un bain de glace, qui racle la coque en crépitant. L’air vif brûle les joues, le soleil fracasse la rétine. Yeux plissés, l’équipe du projet de recherche GreenFjord de l’EPFL scrute l’horizon.</p><p>Un mur de glace, sublime et déchiqueté, se dresse devant eux. Un pan entier de glacier de marée – un géant de 4 kilomètres de large et 350 mètres de profondeur – vient de s’effondrer avec fracas dans l’océan, qui déjà se courbe. La vague, véritable petit tsunami, fonce droit vers le bateau, qui tangue sec. Bouches bées, les scientifiques s’accrochent, puis s’esclaffent, soulagés.</p>**![](https://lh7-us.googleusercontent.com/kqnW6j1SAbE_346QTuHjzEIq7cKRPtvM2eafKKzBmI_v_0bbdQeVl8JUMxrMZOpm9D0ZRn7CN32VyvQsv21eUOJhGSiIVdag8Obcg2FsWXAmL70ai7kl56pd3EidLe-HDMkYpc9l_SNRiEpKHuXL1r4 "Le glacier de Qajuttap, au sud du Groenland, se jette dans l’océan avec fracas  sur plus de quatre kilomètres. | Heidi.news / RBH")**

C’est pour ça qu’ils sont là, au pied de ce front glaciaire qui crache des blocs de glace solitaires: percer les lois de fracturation de la calotte glaciaire. Et ainsi prédire l’avenir du climat sur Terre. Lancée en 2022, l’expédition scientifique GreenFjord doit se prolonger jusqu’en 2026. Au mois d’août 2023, nous avons eu la chance de suivre leur périple.

### **Le Groenland, cette boule de cristal**

Les caps glacés, particulièrement sensibles aux changements climatiques, offrent une vue sur le futur. Ils sont un «système d’alerte précoce» pour les évolutions du climat et de l’environnement. Plus encore: les transformations qui y ont lieu déterminent le destin de la planète, et de l’humanité. La calotte glaciaire du Groenland – ou *inlandsis* –, qui couvre 80% de l’île et mesure jusqu’à trois kilomètres d’épaisseur, est le premier contributeur à l’augmentation du niveau de la mer. Si elle venait à disparaître, les océans s’élèveraient de 7 mètres.

*«Ce qui se passe au Groenland détermine le sort de communautés côtières autour du monde»*, explique Dominik Gräff, chercheur à l’EPFZ et à l’Université de Washington, et membre de l’expédition. Et sa fonte, comme nous le verrons, pourrait être plus rapide que prévu.

L’Arctique, qui se réchauffe quatre fois plus rapidement que le reste de la planète, est le chef d’orchestre du climat mondial. D’ici à 2030, la banquise estivale pourrait avoir complètement disparu dans la région, cédant la place à des surfaces plus sombres, comme l’océan et la terre, qui retiennent davantage les radiations et accélèrent le réchauffement. Un cercle vicieux qui pourrait perturber jusqu’aux courants marins qui confèrent au continent européen son climat doux.

### **Des Alpes aux contrées polaires**

Bien qu’enclavée au cœur de l’Europe, à plusieurs milliers de kilomètres des pôles glacés, la Suisse cultive une longue tradition d’exploration polaire depuis le XIXe siècle. C’est d’ailleurs au Groenland, en 1912, que le météorologue suisse et spécialiste de l’Arctique Alfred de Quervain pose les jalons de la recherche polaire helvétique, en traversant pour la première fois la calotte glaciaire d’ouest en est.

![](https://lh7-us.googleusercontent.com/ttIV0RA04yGy2qsUG5Bw17ct0Yfk-nUWi5jmHGokSz0-xLGtwWW2pPic8nxUOW9ZMl3GyDnnzkSyVCYhLChqr_eo6Y7ibUeRlx1MTIy9MpsBFXN-pjTsK0L_QmxCYNxRtfmdvRpagNnEymEjQYqULrI "Vue sur la calotte glaciaire et le glacier de Qooroq en survolant le sud du Groenland. | Heidi.news / RBH")

Entre le Groenland et la Suisse, les parallèles sont plus nombreux qu’on pourrait l’imaginer. Considérés comme le «troisième pôle», les glaciers qui coiffent les Alpes (et l’Himalaya)  sont un terrain d’étude rêvé pour qui s’intéresse aux paysages glacés des pôles — et réciproquement. *«En Suisse, comme au Groenland, les glaciers et le gel ont façonné les paysages et forgé les mentalités de la population»*, remarque Julia Schmale, professeure à l’EPFL Valais, à la tête de l’expédition.

En avril dernier, une délégation groenlandaise a d’ailleurs rendu visite aux politiciens suisses dans le cadre d’une collaboration sur la gestion des risques de catastrophes naturelles, comme les glissements de terrain, les avalanches ou les inondations – tous exacerbés par le réchauffement climatique.

Quant à la Suisse, elle ne cesse de cultiver son héritage polaire. A Sion, un nouveau centre de recherche sur l’environnement alpin et polaire – baptisé Alpôle – a ouvert ses portes en décembre 2022. De quoi élever la capitale valaisanne au sommet de la recherche mondiale en matière d’étude de ces milieux extrêmes.

Au dernier étage de l’ancien immeuble industriel d’Alpôle, qui abritait autrefois l’imprimerie du *Nouvelliste*, se trouve le nouveau «camp de base» de l’Institut polaire suisse. Fondé en 2016, sous l’impulsion du célèbre glaciologue Konrad Steffen dit «Koni» – tragiquement décédé il y a trois ans dans une crevasse au Groenland –, ce centre interdisciplinaire grandit aussi vite que les glaciers fondent. C’est cet institut qui a financé l’expédition GreenFjord, l’un de ses projets phares.

### **Une expédition inédite, avec les peuples inuits**

Pilotée par l’EFPL, GreenFjord vise à comprendre les conséquences des changements climatiques que subissent les fjords du Groenland. Tel un brise-glace, cette exploration inédite fait voler en éclat les silos traditionnels de la recherche scientifique, en regroupant six volets d’étude sous la même bannière: l’océan, la cryosphère, l’atmosphère, la biodiversité, la terre et la population locale.

*«C’est la première fois qu’on étudie l’ensemble de l’écosystème de la région en incluant la dimension humaine»*, se félicite Julia Schmale qui cumule les expéditions polaires. Il était temps, selon elle, car à mesure que l’atmosphère se réchauffe, et que les glaciers régressent, l’écosystème entier des fjords du sud du Groenland se métamorphose, de la circulation marine, à la formation des nuages, en passant par la distribution de la faune et la pêche, dont dépend la population locale. *«Tout l’écosystème est concerné. On ne peut pas anticiper l’évolution du climat sans considérer les liens entre ces disciplines»*, insiste la scientifique.

Car pour les Groenlandais, le réchauffement climatique n’est pas un sujet à chicaneries politiques: c’est déjà une réalité à laquelle il faut s’adapter, et vite. *«Tout change, pas seulement la banquise et les glaciers, mais aussi les poissons, les oiseaux et les plantes. J’ai des fraises dans mon jardin!»*, observe Oleeraq Nielsen, chamane et guide au musée de Narsaq, un village de pêcheurs au sud de l’île.

![](https://lh7-us.googleusercontent.com/khX0bgakKFxXRKnfJuLeWKVrerPO710p3jFRhrpp7tCwh-mNsLTJIGDFMxfE7hTNUPaCIb2CoYmVIQgwalss0-elyKnMnZyXTmcBpJGCoPBWMHtJiJeplnAqWqm_TbJJRQLIICEbNNvh0grxxvoYjCs "Narsaq, village de 1300 âmes au sud du Groenland. | Heidi.news / RBH")

### **La face cachée de notre transition**

Pour les Inuits, les habitants autochtones du Groenland, l’enjeu est double. Ils n’affrontent pas seulement les conséquences du réchauffement climatique, mais aussi les mesures qui visent à l’atténuer. Car le dégel éveille l’appétit des grandes nations, qui ont entamé une course vers la décarbonation et le tout-électrique. En amont du village de Narsaq, un projet de mine à ciel ouvert prévoit d’exploiter ce qui pourrait être le second plus grand gisement de terres rares au monde, derrière la Chine. Ces métaux sont des ingrédients essentiels à la fabrication d’aimants permanents, qu’on retrouve dans les batteries des véhicules électriques, les turbines d’éoliennes, les smartphones, mais aussi certaines armes de guerre.

*«Le Groenland va devenir l’Arabie saoudite des métaux critiques»*, prédit un membre inuit de l’équipage de l’*Adolf Jensen*, qui accompagne régulièrement des prospecteurs miniers. Les déchets radioactifs, que la société minière prévoit de déverser dans un lac en amont du village, en disent long sur la face cachée de cette transition. *«Si la mine ouvre, on devra partir. On ne protège pas le climat en détruisant la nature»*, insistera quelques jours plus tard Aviâja Lennert, fermière dont les moutons pâturent au pied de la montagne convoitée.

Réchauffement climatique, ruée vers les ressources critiques, tensions géopolitiques: les forces majeures qui remodèlent le monde de demain convergent au Groenland. C’est au cœur de cette île glacée – la plus grande du monde – que cette Exploration vous invite à plonger.

![](https://lh7-us.googleusercontent.com/SYR0Cm0LGcn-_i-O8XUNMv9u2dkU5_TL9TsMkc7c1Q9S6gN2HnGTGLqp5y0d6FpJ5GKOontdCVrb2dEGE6nv02vlBVkfPcw_tb3vSvDDkg4Tw3A_CVX_HnIC9cWYpyfTb3U4vKpxgZOGV7xQPg5fBKs "La nuit tombe sur le glacier de Qajuttap Sermiat. | Heidi.news / RBH")\
<br/>*Avec le soutien de l’Association suisse du journalisme scientifique, de la Fondation Liliane Jordi pour le journalisme et de [Journafonds](https://www.journafonds.ch).*

https://www.heidi.news/articles/cap-sur-le-groenland-pour-lire-l-avenir-du-monde-dans-la-glace

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