Oddbean new post about | logout
 Heidi.news

Twitter je t’aime, mais X je te quitte

<img src="https://heidi-17455.kxcdn.com/photos/d6c521be-5556-41d1-9fc1-30a24c832055/medium" /><p>J&#39;ai abandonné Twitter sur un coup de tête. Mais depuis je me suis aperçu qu&#39;il y avait de très bonnes raisons de le faire. L&#39;info y meurt. </p><p>Un peu avant Noel, j’ai fermé mon compte Twitter. Vous allez me dire, et alors? J’ai bien conscience que c’est une goutte d’eau dans l’océan et que cette réaction consécutive à une énième provocation d’Elon Musk, propriétaire depuis un peu plus d’un an de Twitter rebaptisé X, n’a pas vocation à faire école.</p><p>Cependant, comme j’étais sur Twitter depuis dix ans, le sevrage m’a fait non seulement prendre conscience de mon addiction mais m’a aussi amené à enquêter et à réfléchir sur l’évolution de notre manière de nous informer via les outils numériques.</p>Le constat, c’est que les réseaux sociaux, après avoir développé des algorithmes assurant la visibilité des médias sur leurs plateformes, n’en veulent plus. Mais aussi qu’on est loin d’en avoir fini avec les défis de la numérisation de l’information. Je vous livre le raisonnement ici.

### **Troll sous stéroïdes**

Le déclencheur de mon départ, c’est un commentaire d’approbation d’Elon Musk (*«vous dites la vérité»*) sous un post aussi violemment antisémite que complotiste, puisqu’il affirmait que les Juifs sont à l’origine du racisme anti-blanc… S'est ensuivi un ridicule voyage d’excuses à Auschwitz, enfant sur les épaules. Après quoi, le patron de X a cru bon de republier l’interview de Vladimir Poutine réalisée à Moscou par Carlson Tucker, ex-star de Fox News et chantre du bronzage de testicules…

De ses annonces de combat avec Mark Zuckerberg (on n’a jamais vu la couleur de l’octogone) à ses atermoiements sur la certification des comptes (gratuite, puis payante, puis gratuite pour les stars), en passant par le rétablissement de comptes de complotistes patentés comme Alex Jones, le combat pour la liberté d’expression d’Elon Musk m’est de plus en plus apparu pour ce qu’il est: l’hypocrisie d’un troll fortuné sous stéroïdes.

Mais là n’est pas l’important. En quittant ce réseau, je me suis aussi rendu compte qu’Elon Musk n’a seulement pas tué Twitter en changeant son nom sur un coup de tête. Il a surtout tué son esprit, en faussant les algorithmes jusqu’à rendre la plateforme méconnaissable.

### **Pourquoi Trump ne tweete plus**

Ces derniers mois, X m’a donné à voir de plus en plus de contenus poubelles, ou a minima indésirables. L’algorithme de recommandation n’a eu de cesse de me ramener des contenus personnalisés (marqués *«pour vous»*), alors même que je le règle pour suivre le contenu de comptes sélectionnés. L’enterrement au fond du menu de la fonction signet – celle qu’on utilise pour marquer un post intéressant et le lire plus tard — a été une frustration supplémentaire.

Ces changements d’algorithme disent une évolution plus générale de X et des autres grands réseaux sociaux. J’en ai parlé avec le blogueur spécialisé [Hubert Guillaud](https://hubertguillaud.wordpress.com/about/) en France et avec le professeur Tommaso Venturini, spécialiste en humanités numériques, qui suit ce sujet au Medialab de l’Université de Genève.

De 2010 à 2020 environ, les réseaux sociaux étaient dominés par l’information. Les journalistes, mais aussi beaucoup d’utilisateurs profanes, sélectionnaient et diffusaient des articles de presse pour faire émerger sur ces plateformes, Twitter en particulier, des thèmes de discussion dans l’espace public. La viralité organisait l’agenda des débats publics.

C’était la grande époque où le moindre tweet de Trump était commenté à l’infini. Curieusement chassé puis réinstallé par Musk, Trump ne tweete plus (un seul post en tout et pour tout depuis l’été). Certes, il a créé sa propre plateforme (Truth Social),  mais cette absence souligne aussi en creux qu’il ne considère plus que c’est sur X que ça se passe.

### **Le tournant des années 2020**

Il faut dire qu’après le Brexit et l’élection de 2016, les réseaux sociaux ont embauché des armées de modérateurs et de vérificateurs afin de tenter de reprendre la main sur des débats en ligne de plus en plus polarisés, haineux et noyés de fake news. Ce mouvement a culminé avec l’assaut sur le Capitole du 6 janvier 2021, suivie de la fermeture des comptes de Trump sur Twitter et Facebook.

On est cependant sorti de cette période de tentatives d’encadrer le débat public en ligne. Le scandale Cambridge Analytica, les humiliations des sénateurs américains qui leur donnent des airs de mauvais garçons, quelques amendes salées, de nouvelles règlementations (comme le DSA dans l’Union européenne), ont fait prendre conscience aux patrons de la tech que l’information est un risque économique.

Plutôt que d’essayer de vérifier ou de modérer cette information, ce qui est difficile et ruineux, il s’avère infiniment plus simple et sans doute plus profitable de s’en débarrasser, au profit de contenus de divertissement ou publicitaires. D’où une modération qui se limite désormais aux contenus clairement criminels, comme la pédopornographie, et une modification des algorithmes de recommandation.

Dans son livre *La Guerre de l’information* (éd. Tallandier, 2023), l’historien David Colon ne dit pas autre chose. Après avoir instauré un ciblage publicitaire de masse, puis donné les moyens d’utiliser leurs plateformes pour influencer l’opinion, les maîtres des réseaux sociaux ont senti le vent tourner. Ils ont revu leurs algorithmes pour privilégier les contenus qui rapportent plus d’argent que de tourment.

### **L’info ne fait plus recette**

Hubert Guillaud l’illustre ainsi: *«L’algorithme de Facebook a été modifié pour ne plus pousser les contenus comportant un lien vers un contenu extérieur, raison pour laquelle certains internautes mettent ce lien dans les commentaires afin de ne pas être interceptés par le logiciel.»*

Tommaso Venturini observe que *«confrontée à une crise financière (depuis le rachat pour 44 milliards de dollars par Musk, l’entreprise aurait perdu [71% de sa valeur](https://www.theguardian.com/technology/2024/jan/02/x-twitter-stock-falls-elon-musk), ndlr.), X cherche désespérément des revenus. Cela passe d’abord par la certification payante, les badges bleus, et un algorithme qui favorise ces contenus sponsorisés plutôt que ceux qui intéressent le plus de gens.»*

S’ajoute à cela que depuis la pandémie, l’audience intéressée par l’information sur les réseaux sociaux s’effondre, comme le relèvent *[The Atlantic](https://www.theatlantic.com/technology/archive/2023/11/social-media-news-readership-decline/675890/)* et le *[New York Times](https://www.nytimes.com/2023/10/19/technology/news-social-media-traffic.html)* en s’appuyant sur diverses études.

Il n’est pas facile de distinguer la poule et l’œuf dans ce phénomène – les médias ont leur part de responsabilité — mais les effets sont indubitables. Dans son [derner rapport](https://reutersinstitute.politics.ox.ac.uk/journalism-media-and-technology-trends-and-predictions-2024), l’Institut Reuters observe que le trafic de Facebook vers les sites d'information a chuté de 48% en 2023, tandis que celui de X a baissé de 27%.

### Pas de relève sérieuse

Après avoir quitté X, j’ai testé plusieurs autres réseaux ayant vocation à se substituer à la célèbre plateforme de microblogging. Pour l’heure, il semble que la portion congrue réservée à l’info ne semble pas près de changer.

Threads ne veut explicitement pas pousser les news et prioritise les contenus bisounours comme son concepteur Instagram. Bluesky est encore trop petit pour qu’on puisse se faire une opinion, mais il y manque des fonctions indispensables pour s’informer (comme la fonction signet). Reddit et Mastodon sont plus crédibles, mais leur structure décentralisée exclut qu’ils puissent servir d’agora mondiale, comme le fut Twitter pour un temps. Quant à Tik Tok, son algorithme est une machine efficace pour détecter et diffuser des tendances culturelles ou sociales, mais pas des news.

L’information sur le web n’a bien sûr pas dit son dernier mot. Si les premiers sites de news conçus par des intelligences artificielles ne convainquent pas, tout le monde anticipe un bouleversement du paysage sous l’influence des IA génératives. Il y a du pain sur la planche, car ces mêmes IA offrent déjà des moyens d’influence de l’opinion d’une puissance inédite. Il y a deux semaines dans le New Hampshire, où se tenaient les primaires républicaines, des [chatbots téléphoniques](https://www.theregister.com/2024/01/23/robocaller_biden_new_hampshire/) imitant la voix de Joe Biden ont appelé des citoyens américains pour les inciter à ne pas se rendre aux urnes..

Le chapitre sulfureux du mariage des médias sociaux et des news s’achève à peine qu’un nouveau défi s’ouvre déjà pour l’information.

https://www.heidi.news/articles/twitter-je-t-aime-mais-x-je-te-quitte

#Presse #heidi #Suisse