Oddbean new post about | logout
 Heidi.news

Ce qu'un prix attribué à une médecine alternative nous apprend sur Big Pharma

<img src="https://heidi-17455.kxcdn.com/photos/4ce4fb1d-a722-4596-b939-c99ab21a8185/medium" /><p>Découvertes il y a une centaine d’année, les thérapies à base de phages, des virus qui détruisent les bactéries, sont tombées dans l’oubli au profit des antibiotiques. Avec la montée de la résistance à ces molécules chimiques, cette thérapie qui a survécu en Géorgie retrouve les bonnes grâces de la médecine «mainstream». En témoigne un projet du CHUV et de l’EPFL distingué par un prix de la fondation Leenaards. </p><p>Dans son livre <em>Mainstream</em> sur les industries culturelles, Frédéric Martel, écrivain et professeur à l’Université des Arts de Zurich, expliquait ainsi le secret du succès d’Hollywood: la capacité à faire passer des productions nées aux marges de la culture à son cœur populaire (et profitable). C’était aussi la recette de Virgin qui, grâce aux Sex Pistols et Iggy Pop, est passé de magasin de disque à Notting Hill à une multinationale. Et c’est (ce fut?) aussi celui de la Silicon Valley, les capital-risqueurs jouant ici le rôle des boîtes de production et les étudiants de Stanford ceux des artistes.</p><p><strong><section class=box></strong></p>#### Heidi.news a besoin de vous!

`Cet article est gratuit, mais les abonnés sont notre seul revenu.`

Nous sommes un média indépendant, sans publicité, voué à l’enquête et aux sujets majeurs. Pour nous découvrir:

  1. Tout premier abo comprend [un mois d’essai gratuit,](https://www.heidi.news/abonnements) que vous pouvez interrompre à tout moment (même si nous serions enchantés que vous restiez!)

  2. Notre newsletter le Point du jour est envoyée chaque matin d’une ville différente du monde. [Faites connaissance de nos correspondants!](https://www.heidi.news/newsletters/point_du_jour) Aussi disponible en audio.

**</section>**

Mais pour être pérenne, ce modèle funambule doit constamment trouver un équilibre entre les revenus nécessaires à la poursuite de l’activité et la liberté créative indispensable à sa valeur ajoutée. Il marche sur une corde raide avec d’un côté le précipice de la course au profit rapide et de l’autre celui du formatage. C’est ce qui rend difficile son application dans des domaines très règlementés comme celui de la santé.

### **La loi d’Eroom plombe la pharma**

Toutefois, nécessité fait loi. J’ai assisté cette semaine au [Life sciences CEO Forum](https://www.sachsforum.com/17elsf-about.html), un gros rassemblement de patrons d’entreprises biotechs et pharmaceutiques à Zurich. Eux sont affligés par une loi inverse de celle de Moore qui gonfle les profits du numérique (toujours plus de puissance de calculs pour moins cher). Elle s’appelle la loi d’Eroom (Moore épelé à l’envers). Elle constate que tous les neuf ans, le nombre de nouveaux médicaments autorisés diminue de moitié, alors que doublent les coûts pour les développer.

Parce qu’ils ont des patients à soigner tous les jours, de plus en plus de médecins se tournent vers d’autres thérapies que celles de Big Pharma. Par exemple, ils s’intéressent à nos différents microbiotes. Pour les maladies du cerveau, l’utilisation de drogues récréatives micro-dosées comme la psilocybine ou le LSD ont des résultats étonnants, comme l’expliquait notre Exploration «[J'ai testé les psychédéliques, pour me soigner](https://www.heidi.news/explorations/j-ai-teste-les-psychedeliques-pour-me-soigner)». Ces substances au demeurant illégales ne sont plus un tabou, les hôpitaux mènent d’importants essais cliniques, [mais il y a une longue liste d’attente](https://www.heidi.news/sante/exclusif-a-geneve-les-psychotherapies-psychedeliques-depassees-par-leur-succes) pour y participer aux HUG de Genève.

Dans le domaine des maladies infectieuses, ce sont les phages qui ont le vent en poupe, une thérapie sortie de l’arsenal occidental dans les années 60 mais qui a continué de s’épanouir de l’autre côté du rideau de fer et en particulier en Géorgie, comme le racontait une autre exploration de *Heidi.news*:  [Antibiotiques: les phages contre-attaquent](https://www.heidi.news/explorations/antibiotiques-les-phages-contre-attaquent). En témoigne l’attribution, cette semaine, d’un [Prix Leenards](https://www.leenaards.ch/prix/traiter-grace-aux-virus-antibacteriens-les-bacteriophages-pour-lutter-contre-les-infections-resistantes-aux-antibiotiques/) au projet d’une pneumologue du CHUV, Angela Koutsokera, qui entend traiter ses patients résistants aux antibiotiques avec ces phages.

![Bacteriophages_AKoutsokera(centre)\_APersat(gauche)\_GResch(droite)©AlbanKakulya - copie.jpeg](https://heidi-17455.kxcdn.com/photos/4182a807-5980-4b54-a792-e5e335cb13bb/large "Alexandre Persat, Angela Koutsokera et Grégory Resh (de g. à d.). Photo: Alban Kakulya")

Il faut dire que la résistance aux antibiotiques, dopée par une surutilisation chez les humains comme chez les animaux d’élevage, pourrait devenir l’une des principales causes de mortalité en 2050, avec 10 millions de morts par an. Les phagothérapies ont donc quelque chose du miracle. Les phages sont des virus qui attaquent les bactéries pour les détruire et que l’on trouve notamment dans les eaux usées. Cette médecine serait le moyen quasi naturel de faire face à la montée de l’antibiorésistance.

### **La science ne se contente pas de coïncidences**

Cependant, contrairement aux marchands d’huile de serpent et à leurs influenceurs qui pullulent sur les réseaux sociaux, les médecins ne peuvent pas se contenter d’heureuses coïncidences. Pour efficace qu’elle puisse être parfois, l’utilisation de phages ne marche pas à tous les coups. Il y a d’abord la difficulté de faire correspondre le bon phage (il y en a des milliards dans l’environnement) à la bonne souche de bactéries (elles aussi très nombreuses et qui, en plus, s’adaptent). Ensuite, même si ces phages marchent au début, il arrive que le patient développe une immunité contre ces virus étrangers.

Ces obstacles expliquent en grande partie pourquoi l’industrie pharmaceutique n’est pas intéressée par les phagothérapies. On ne peut pas breveter une thérapie qu’il faut développer pour chaque patient, il n’y a donc pas de modèle économique. Il en va autrement dans la recherche universitaire, à condition d’organiser les choses de manière rationnelle, c’est-à-dire scientifique.

![Bacterie_Bacteriophage_2©AlbanKakulya - copie.jpeg](https://heidi-17455.kxcdn.com/photos/c445cb5f-8e6b-4767-a83a-13c7eff8b90c/large "Les phages tueurs de bactéries sont un moyen de contourner la résistance aux bactéries./ Image tirée du film \"Traiter grâce aux virus\" d’Alban Kakulya")C’est là que cette médecine alternative rejoint la science. Le projet d’Angela Koutsokera est ainsi organisé autour de différents partenariats. Pour elle, le plus urgent est d’apporter une solution à ses patients atteints de mucoviscidose. *«Leurs poumons sont parfois épuisés par les infections répétées d’un bacille* (pseudomonas) *qui, à force d’antibiotiques, est devenu résistant»*, dit-elle.

### **Bibliothèques de phages et organoïdes**

Pour faire face à ce problème qui fait peser un risque mortel à ses patients, son projet s’appuie d’abord sur la bibliothèque de phages constituée par Grégory Resch au CHUV, elle-même étendu à d’autres bibliothèques de phages qui apparaissent en France comme aux Etats-Unis ou en Australie. C’est dans ces bibliothèques que sont identifiés les phages correspondant à la bonne souche du bacille.

Pour aller plus loin, et parce que ces bactéries créent aussi un environnement qui les protège des phages, une collaboration a été tissée avec le laboratoire d’Alexandre Persat à l’EPFL. Lui construit des outils très avancés dans la recherche biomédicale d’aujourd’hui: des organoïdes, autrement dit des petits modèles d’organes (ici de poumons), pour tester les phages. *«Parce que ces bactéries restent des années, y compris à l’état dormant, chez les patients, elles se sont adaptées à leur environnement. Donc pour sélectionner les phages qui seront les plus efficaces, nous devons recréer cet environnement»*, explique Alexandre Persat.

*«Une fois la sélection des phages opérée, le centre de production cellulaire du CHUV se charge de les purifier et de les préparer pour la thérapie»*, précise Angela Koutsokera. *«Puis les essais cliniques vont servir à valider la phagothérapie, mais aussi à étudier des phénomènes comme le développement, la réponse immunitaire aux phages et leurs effets sur le microbiome du patient.»*

### **L’obsession financière de la pharma**

Cette approche scientifique, multidisciplinaire et appliquée à de vrais patients est ce qui a séduit le jury de la fondation Leenaards. C’est heureux parce qu’à Zurich, au Life Science CEO Forum, pas un mot sur les phagothérapies n’a été prononcé. Pas plus que sur le microdosage des psychédéliques ou la protection du microbiote. On y parle que d’IP (*intellectual property*, de brevets, autrement dit) d’introductions en bourse et de fusions et acquisitions. Dans le brouhaha, un lobbyiste travaillant pour des entreprises pharmaceutiques d’un grand pays d’Asie m’a même proposé d’emblée de l’argent, comme si c’était un usage courant, à condition que j’écrive des articles favorables sur ses clients…

Comme vous le voyez, le cas particulier du projet de phagothérapies récompensé par la fondation Leenaards nous dit beaucoup de choses: l’ouverture croissante des médecines classiques à des thérapies non conventionnelles, le besoin de la rigueur scientifique pour les valider, mais aussi cette obsession financière de la pharma qui, avec la proposition sans vergogne de ce représentant d’entreprises asiatiques, m’interroge: n’est-ce pas la corruption qui devient, elle aussi, mainstream?

https://www.heidi.news/articles/ce-qu-un-prix-attribue-a-une-medecine-alternative-nous-apprend-sur-big-pharma

#Presse #heidi #Suisse